Mon père, l´émigrant, traduit de l´espagnol par Robert Ganzo. Jean Paul Vibert, 1949. 54 p. (Collection Appels peoétique; No. 1.) Préface du traducteur.
Les espaces chaudes. Traduction et préface de Claude Couffon. Paris. Pierre Seghers Editeur, 1955. 85 p.
Oliviers d´éternité. Traduction et préface de Claude Aubert. Genève: Presses de Savoie, 1964 (Jeune poésie; Collection Echanges).
Poèmes.Traduits par Robert Ganzo, Claude Couffon, Edmond Vandercammen et Fernand Verhessen. Préface par Fernand Verhessen. (Mon Père,l´émigrant, traduction de Robert Ganzo); Les Espaces Chaudes, traduction de Claude Couffon et Edmond Vandercammen; Cercles du Tonnerre, traduction d´Edmond Vandercammen et Claude Couffon; Tyran d´Ombre et de Feu, traduction de Fernand Verhesen, Oliviers d´éternité, traduction de Fernand Verhesen). Editions LE CORMIER sous la direction de Fernand Verhesen. Maison Internationale de la Poésie, Bruxelles, 1968.
Nous sommes venus de la nuit et nous allons à la nuit. Derrière nous demeure la terre enveloppée dans ses vapeurs où vivent l'amandier, l'enfant et le léopard. Derrière nous demeurent les jours, avec des lacs, des neiges, des rennes, des volcans adustes et des forêts enchantées où meurent les ombres bleues de la peur. Derrière nous demeurent les tombes au pied des cyprès éclairés par la tristesse de lointaines étoiles. Derrière nous demeurent les gloires comme des torches qu'éteignent les rafales séculaires. Derrière nous demeurent les portes plaintives dans le vent. Derrière nous demeure l'angoisse aux miroirs célestes. Derrière nous le temps demeure comme un drame dans l'homme: il engendre la vie; il engendre la mort, ce temps qui élève et détruit les colonnes et qui murmure dans les vagues millénaires de l'océan. Derrière nous demeure la lumière qui baigne les montagnes, les squares des enfants et les blanches hauteurs. Et derrière nous la nuit avec ses craintes dolentes; la nuit quotidienne, celle qui n'est pas encore nuit, mais bref repos tremblant dans les lucioles; celle qui traverse les âmes avec des coups d'agonie. La nuit descendant à nouveau jusqu'à la lumière qui réveille les fleurs dans les vallées taciturnes, qui défripe les eaux des monts et lance ses chevaux jusqu'à des rives bleues, tandis que l'éternité, parmi des lueurs d'or, avance silencieusement dans les prairies sidérales. |
LE LÉOPARDà Mariano Picon-Salas
Le léopard se replie dans la nuit des grandes feulles MON PAYSà Juan et Fifa LiscanoSur l'herbe embrasée par le jour, le sommeil du cheval EAU QUI SE PRÈCIPITEà Carlos MartínJe reconnais tes morts parmi la brume, |
Parmi les cris et les épées de navires fantômes, tu descendis les fleuves vers le grand fleuve d'Amérique. Tu entras dans la forêt aux plantes suintantes, dans la forêt où s'allument des lucioles de pluie, illuminant les fleurs primaires de la terre. Pénombre où volent des papillons de feu. Espace des plus beaux oiseaux du monde. Aire où veillent les jaguars du temps. Ombre verte, parcourue d'invisibles foulées. Résonance de la mer, du ciel, de la mort. Là, point de combat entre les jours et les nuits. Là, passent ensemble l'ombre et la lumière. Là, le temps s'éteint parmi les lianes, et ne renaît que dans l'amour occulte d'insectes-joyaux, de fauves qui se déchirent, de serpents qui tressent leurs couleurs de bave. Tu es entré dans cette demeure sans toit et sans étoiles, sans chemins ni soleil, où l'on entend la mort broyer, dans le feuillage, des os, des branches, des amandes. De toi s'est emparée l'âme verte et sanglante de l'âpre Curupira, qui protège les arbres, apaise les caïmans, recueille le venin des scorpions humides, et chemine à reculons pour engloutir les hommes dans la chaude vapeur des eaux qui fermentent de fleurs et de vers. Elle t'enveloppa dans les toiles d'araignées velues qui gorgent de douleur les recoins obscurs de l'âme de Canaima. Ses nuées d'échassiers t'enlevèrent le sommeil. Elle t'enfiévra de ses lentes flambées. Tu mangeas les racines que connaissent .les sorciers. Tu t'enfonças dans le délire du pollen sous l'ombreuse futaie des feux follets bleus. Lorsque tu regagnas la mer tu étais seul, perdu, seul parmi tes soldats, sous la lente pluie qu'allume au ciel le panache de Dieu. |
Réalité de la nuitje la savoure au milieu du monde. Sous mes paupières se retranche la fureur de la nuit et derrière les jours il y a la rumeur de la mer contre les briselames. Mes sens résonnent sous la voûte du crâne, dans les ténèbres concaves des lucioles. Il y a un écroulement de la nuit comme du charbon dans mon côté gauche, un spectre de l'eau. Ombre de bosquets vénéneux, ronds feuillages reluisants, refuge des mendiants sous les feux d'artifice. Ombre cachée derrière les fenêtres, ombre du drap, de la chaise, de la lampe. Ombre des épileptiques, des paralytiques, des aveugles. Ombre des médicaments, des horloges, des chapeaux. Voici mes mains remuant le quotidien, soutien muet, simple conviction de la mort. Je suis un témoin, un exilé dans les avenues crépusculaires, dans les mardis de carnaval, avec des fils qui m'arrivent au genou. Le pressentiment me poursuit comme un masque nocturne. Il tombe des étoiles dans les plaines, au bord des villes. Les mains qui font le pain sapent la nuit. Les lampes illuminent le pain. |